SOUVENIRS DU 26 MARS 1962 à ALGER

Publié le par Recteur de la Basilique du Sacré-Coeur de Marseil

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Souvenirs du 26 mars 1962 à Alger 

Homélie Mgr Matthieu AQUILINA

 

Comme chaque année, nous nous retrouvons, dans cette basilique du Sacré-Cœur, pour célébrer la mémoire des Victimes du 26 mars 1962, à Alger, et de celles du 5 juillet 1962 à Oran.

Il m'a été demandé de vous rappeler le déroulement de ces tragiques et douloureux événements du 26 mars 1962 à Alger, la fusillade de la rue d'Isly, sur le territoire de la paroisse Saint Augustin dont j'étais le curé de 1958 à 1967 pendant 9 ans.

Permettez-moi de vous rappeler le déroulement de ces tragiques et douloureux événements que nous avons vécus.

Comment pourrions-nous oublier cette journée si atroce qu'on souhaiterait qu'elle n'ait été qu'un cauchemar, cette scène insoutenable au cours de cet après-midi de printemps : toute une foule de braves gens, hommes, femmes, jeunes gens et jeunes filles qui avaient le tort de vouloir vivre et de rester sur leur terre natale ? Ceux-ci furent meurtris par des balles, et des balles, hélas, toutes françaises.

Le climat était lourd à Alger : l'annonce de la signature des fameux «  Accords d’Evian », le lundi précédent, avec les fantoches du gouvernement provisoire de la République Algérienne, avait prouvé, une nouvelle fois, la volonté délibérée du Président de la République Française de liquider l'Algérie, quoiqu'il arrive!

Malgré le cessez-le-feu officiel du 19 mars, la vie se déroulait au rythme des attentats et des grèves Et voici que depuis plusieurs jours, à la suite d'une agression contre les forces de l'ordre, le quartier populaire de Bab-el-Oued est investi et bouclé.

Ses 100.000 habitants sont séparés par un blocus rigoureux du reste du monde. C'est la réduction d'un ghetto, rien n'y manque, ni avions, ni blindés. L'occupation est sévère. Une motion des Doyens des Facultés et des notables parle, à juste titre, de « répression aveugle ».

La population d'Alger savait ce qui se passait dans le réduit de Bab-el-Oued. Des témoignages étaient rapportés par des militaires, écœurés par tout ce qu'ils avaient vu : les secours en vivres et en produits pharmaceutiques étaient impitoyablement refoulés. Les barrages s'opposaient à l'entrée de quiconque dans le périmètre interdit. Le peuple algérois compatissait aux souffrances de ses frères.

Il fut alors décidé qu'une manifestation de solidarité se déroulerait le lundi 26 mars vers 15h, rendez-vous fixé au Plateau des Glières. Le mot d'ordre était de marcher « sans arme, dans la discipline et le calme, en direction de Bab-el-Oued ». Le tract concluait : «  cet immense mouvement de solidarité montrera à la face du monde notre désir unanime de rester français. »    Mais la Préfecture de Police, ayant reçu des ordres d'en haut, avertit les manifestants qu'ils seraient dispersés avec toute la fermeté nécessaire. Hélas, nous savons maintenant ce qu'ils avaient voulu dire!

Un peu avant 15 heures, la foule est rassemblée sur le Plateau des Glières. Elle est canalisée vers la rue d'Isly qui reste pour elle, la seule artère vers Bab-el-Oued. Toutes les autres rues lui sont interdites par des cordons de troupe. Un fort barrage motorisé, constitué de militaires musulmans et européens, armés de mitraillettes, de cartouches autour de la poitrine, fusils mitrailleurs sur le trottoir, est prêt à balayer dans un sens la rue d'Isly et dans l'autre sens la Poste et le Plateau des Glières.

Dans la rue d'Isly, une section de Tirailleurs algériens, composés en majeure partie de musulmans, chargés individuellement d'armes automatiques, prennent position au milieu de la foule. Les manifestants parlementent avec eux pour passer. Finalement, le barrage se disloque, et le cortège passe, ayant pour chef de file un ancien combattant musulman portant le drapeau tricolore.

Aucune provocation de la part des manifestants, aucune sommation de la part de l'armée.

Voici le témoignage d'un Colonel des Affaires musulmanes en retraite : parlant parfaitement l'arabe, il arrive à la hauteur de la première section de soldats musulmans, et il entend, avec stupeur, deux de ces hommes échanger des paroles, qui seront confirmées par plusieurs autres témoins : «  nous allons tirer sur des chrétiens, on nous a dit de tirer sur des chrétiens ».

Il devenait évident que ces hommes, à l'allure et au parler des bergers primitifs de la montagne algérienne, allaient tirer. Tout à coup, une longue rafale de F.M. éclate, et immédiatement, c'est un feu d'enfer, un véritable carnage. Tous sont couchés, vivants ou morts, les uns contre les autres. Les soldats sont déchainés, ils tirent sans discontinuer pendant 12 minutes de tous les côtés, dans un état de frénésie sauvage. Des blessés sont achevés, à bout portant. Ils tirent même sur les ambulances qui commencent à arriver, sur les secouristes qui portent les blessés, jusqu'à ce qu'un officier français crie : «  Halte au feu! ».

La vision était insupportable : de l'avenue Pasteur à la Grande Poste et à la rue d'Isly, on ne voit que des cadavres, le dos haché par des rafales de balles, des blessés prostrés, pendant que les valides vont et viennent, réconfortant les uns et les autres et aidant les sauveteurs. La nuit tombe.

A l'hôpital de Mustapha et dans deux autres cliniques, on opère près de 200 blessés. A la morgue, 82 corps, alignés à terre, hommes, femmes, vieillards, jeunes filles, partis de chez eux quelques heures plus tôt, dans la tristesse et dans le but d'apporter le réconfort de leur amitié à des concitoyens éprouvés. Leurs corps ne devaient pas être rendus aux familles. Deux jours après, une absoute collective, est annoncée discrètement, au dernier moment, vers la fin de l’après-midi. Ces corps ont été enlevés de nuit, transportés clandestinement par des camions militaires dans un dépositoire de banlieue, puis amenés le lendemain dans des cimetières.

C'est là, mes frères, la triste histoire de ce drame que nous ne devons pas oublier, car il fait partie de notre Histoire de Français d'Algérie, qui avons souffert pendant cette guerre dite d'Indépendance. Nous commémorons aujourd'hui ce triste anniversaire. Mais nous nous réunissons avant tout, pour prier pour toutes ces victimes innocentes, qui ont laissé leur vie. Nous prions pour les familles qui pleurent un être cher, ravi à leur affection. Nous prions aussi pour ceux qui, ayant eu la vie sauve, portent en eux les traces de leurs blessures.

Nous condamnons ces crimes odieux. Mais parce que nous sommes chrétiens, nous devons pardonner, comme le Christ nous le demande, à ceux qui se sont rendus coupables de ces crimes. Ne gardons pas dans notre cœur des sentiments de haines, malgré la révolte que nous éprouvons, car notre cœur est fait non pour haïr, mais pour aimer.

Ayant été curé de St Augustin, j'ai personnellement vécu ce drame qui s'est déroulé dans les limites de ma paroisse. Avec mon confrère de l'église St Charles, nous nous sommes rendus sur les lieux, aussitôt après la fusillade, pour voir et relever les blessés. Nous nous sommes rendus ensuite à l'hôpital pour bénir les victimes. Or parmi elles, il y avait le corps du Docteur Jean Massonat, tué par balle de F.M. dans le dos, tandis qu'il secourait un blessé à terre.

Rendons témoignage à tous ceux qui, dans un élan d'amour, sont partis apporter le réconfort de leur présence à leurs frères malheureux, et qui ont payé de leur vie cet amour fraternel. De même, le 5 juillet 1962, à Oran, nos concitoyens, étaient sauvagement assassinés et massacrés par les nouveaux maîtres de l’Algérie, qui fêtaient leur indépendance.

C'est pour eux tous, que nous célébrons, dans le recueillement et la prière, le Saint Sacrifice de la Messe. Qu’ils reposent dans la paix.

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